Call for Papers: Santé et malaise en agriculture

RHN 90/2023 | Call

Organisers: Sainte Retraite Famille Service, Association Santé Education & Prévention sur les Terri

16 October 2023, Petit Kursaal, 2 place du théâtre, Besançon, France

Deadline for submissions: 15 September 2023

 

Colloque Scientifique:
Santé et malaise en agriculture

Cette recherche socio-anthropologique sur les « motifs du suicide en élevage » a été financée par la CCMSA et réalisée entre 2020 et 2022[1]. Elle poursuit plusieurs recherches réalisées au sein du LASA dans le cadre d’un des axes du laboratoire portant sur la transmission des savoirs.[2] Certaines de ces recherches ont mis en évidence le fait que le métier d’éleveur subit de profonds changements qui se traduisent par l’exercice de nouvelles tâches et notamment l’augmentation du travail administratif (lié à la PAC, les demandes de subvention européenne, les contrôles sanitaires etc.), tâches qui supposent la mobilisation de nouvelles compétences.[3] L’une d’elles concerne la maitrise de la part du travail administratif du métier, laquelle, dans la division traditionnelle sexuée du travail en élevage, repose en grande partie sur les femmes. Du point de vue de la sociologie des professions, cette part de leur activité s’apparente au « sale boulot ».

La première hypothèse propose d’établir un lien entre transmission des savoirs et mal-être des éleveurs et considère que la représentation que les jeunes en formation ont de leur métier sous-évalue la part très significative du travail administratif qui compose le métier d’éleveur, ceci d’autant plus qu’ils idéalisent ce métier. Cette part du travail se révèle à eux souvent de façon trop tardive, c’est-à-dire une fois leur installation réalisée, ce qui les confrontent à un sentiment d’incompétence professionnelle d’autant que cet aspect du métier d’éleveur n’est pas la raison de leur choix de leur formation, pas plus que du métier auquel ils veulent accéder. D’où l’hypothèse d’un évitement par les jeunes étudiants des enseignements liés à la comptabilité/gestion au cours de leur formation, au profit des enseignements relatifs aux savoirs zootechniques qui viennent renforcer des savoirs pour une bonne part déjà acquis lors de la socialisation familiale.

Interroger le rapport aux savoirs est un moyen d’appréhender les projections des étudiant(e)s dans le monde du travail et de mesurer leur capacité à anticiper des problèmes dès la période de socialisation anticipatrice (R.K Merton, 1957) et ainsi à saisir des indices de fragilité dès la période de socialisation scolaire[4]. L’enquête a donc été conduite auprès des étudiants inscrits en BTS ACSE dans deux lycées agricoles et une maison familiale en Franche Comté et auprès des étudiants de 2ème année d’ingénieurs AGROSUP Clermont Ferrand. (62 étudiants interviewés).

En complément de cette première hypothèse nous en avons posé une seconde qui tentait d’établir une corrélation entre rupture de transmission patrimoniale et suicide, ceci afin de saisir les dires de la tranche d’âge de la population la plus touchée par le suicide en agriculture, c’est à dire les acteurs en fin de carrière. Contrairement aux résultats attendus, nous avons pu constater que si le problème de la transmission est bien un moment critique, la question du suicide se pose différemment que de la façon dont nous la posions. En effet, ce n’est pas le cédant ,contraint par l’absence de successeur et donc soumis à l’impossibilité de transmettre son patrimoine, qui met fin à ses jours, mais c’est le successeur qui pose problème en cas de disparition du cédant.[5] Plutôt que d’interviewer des familles de suicidés, nous avons choisi de travailler avec des agriculteurs aidants répondant à des appels à l’aide - lesquels ayant le plus souvent signalé des pensées suicidaires - ce qui nous permet de décrire des trajectoires de dégringolade et de dévoiler des indices de vulnérabilité, afin de donner des éléments d’action préventive aux acteurs chargés de cette question en agriculture.

L’originalité de l’analyse présentée ici est la mise à l’épreuve de deux hypothèses, non par comparaison, mais en regard l’une de l’autre. Cette analyse a permis la mise en relation des projections des jeunes sur leur métier futur et la réalité du métier telle qu’elle est vécue par des éleveurs appelant au secours auprès d’une structure d’aide.

Ce type d’analyse fait apparaitre des incompatibilités entre l’attendu du métier des jeunes étudiants(es) et son vécu par des éleveurs en difficulté telles que :

  • métier choisi/métier subi : nous constatons que là où les jeunes étudiants filles et garçons revendiquent le choix personnel qu’ils ont fait d’un métier passion, les trajectoires des aidés montrent que, le plus souvent (34 cas sur 36), le choix du métier a été subi et se traduit souvent dans les transmissions ratées. Ceci a donné lieu à un manque de formation et notamment sur tous les aspects administratifs du métier qui, au fil de leur carrière se transforme en cauchemar d’où le lien entre mal-être et paperasserie.
  • la permanence et la force de la transmission des normes sexuées dans les familles concernant notamment la division du travail : chacun-e a intériorisé, et ce, dès l’enfance quelle est sa future place sur l’exploitation. Les garçons considèrent que les tâches qui constituent le cœur du métier, c’est-à-dire les tâches nobles sont celles de l’élevage. La gestion et les tâches administratives relevant, selon eux, d’un travail féminin, « le sale boulot », d’où leur non-investissement dans les disciplines qui préparent au sale boulot !  Les filles anticipent en revanche que, quelle que soit la place qu’elles occupent, celle de chef d’exploitation ou celle de conjointe, elles devront maitriser les savoirs administratifs d’où leur investissement important dans ces disciplines scolaires.

Cette permanence de la division sexuée du travail perpétue les attitudes virilistes des garçons qui imaginent aisément que, comme l’ont fait leur père, ils délégueront ce travail à leur future femme… Mais s’ils sont confrontés dans leur carrière future à l’absence d’une femme sur l’exploitation, qu’elle soit conjointe, associée, ou qu’elle donne un coup de main, ces jeunes garçons n’auront aucune autonomie face à la part de l’administration qui envahit de plus en plus la sphère de travail des exploitants. C’est le mal être vécu par les agriculteurs aidés lors du décès de la mère, de la sœur de la femme qui s’occupait de cette tâche.

  • Le rapport au collectif et notamment aux institutions agricoles se tisse dès la formation. Aussi les agriculteurs en difficulté issus du milieu agricole ne partagent pas avec les étudiants cette connaissance de l’univers environnant au départ par manque de formation. Les relations professionnelles sont exclusivement des relations familiales et ces successeurs aidés qui n’ont jamais accédé à la légitimité de la place de chef d’exploitation, n’ont pas accédé non plus à une reconnaissance par le groupe professionnel. Cette distance prise avec le groupe professionnel résulte en partie d’une auto-exclusion (P. Spoljar)[6]. De l’échec scolaire jusqu’à l’appel au secours, les « aidés » ont exercé leur activité en évitant la rencontre ou la confrontation avec les institutions. Et pourtant, les institutions existent, elles tentent d’entrer en relation (le plus souvent par courrier et c’est peut-être là le problème) avec la personne en difficulté mais cette dernière la refuse ou l’évite à tout prix. (Banques, MSA, ) Au cours de leur parcours de dégringolade, ces exploitants en grande difficulté se sont rendus invisibles.

À partir de l’analyse de ces incompatibilités, voire quelquefois contradictions entre les trajectoires des agriculteurs aidés et les projections des jeunes dans le groupe professionnel, il est possible de donner quelques préconisations d’actions qui consistent pour une grande partie à réagir plus tôt dans la carrière des étudiants, futurs professionnels de demain, afin de leur éviter de vivre le mal être des éleveurs d’aujourd’hui.

La structuration de cette journée se fera autour de plusieurs intervenants universitaires et médicaux oeuvrant dans le champ du mal-être en agriculture depuis plusieurs années :

  • Nicolas Deffontaines, maître de conférences en Sociologie, Université de Picardie Jules Verne
  • Dominique Jaques-Jouvenot, professeur émérite en Sociologie, Laboratoire de Sociologie et d'Anthropologie, Université de Franche-Comté
  • Sylvie Guigon, maître de conférences en sociologie, UFR SJEPG, Université de Franche-Comté.
  • Sylvie Celerier, Professeur de sociologie à l'université de Lille 1 et chercheure associée au Centre d'études de l'emploi (CEE)
  • Théo Boulakia, Théo Boulakia, CMH
  • Jean-Jacques Laplante, ancien directeur santé de la Mutualité Sociale Agricole de Franche-Comté.

Modalités de contribution
Les propositions peuvent être envoyéesà martin.yoann@franchecomte.msa.fr
d'ici le 15 septembre 2023.

Comité scientifique

  • Dominique Jacques-Jouvenot, Professeur émérite en sociologie, Laboratoire de Sociologie et d’Anthropologie (LASA) de l’Université de Franche-Comté.
  • Sylvie Guigon, Maître de conférences en sociologie, Laboratoire de Sociologie et d’Anthropologie (LASA) de l’Université de Franche-Comté.
  • Clément Previtali, Docteur en sociologie, chercheur associé au Laboratoire de Sociologie et d’Anthropologie (LASA) de l’Université de Franche-Comté.

Notes

[1] Recherche MOSA « Les motifs du suicide en agriculture », CCMSA/ASEPT/LASA

[2] Malaise en agriculture, ed. Kartala, 2009 (Droz, Jacques-Jouvenot, Lafleur, Mieville-Ott, 2014) portait sur les politiques agricoles et la santé des éleveurs dans trois pays (France/Suisse/Québec).

Jacques-Jouvenot D., 2014, Le rapport aux savoirs professionnels : une nouvelle hypothèse sur le suicide des éleveurs, Études rurales.

[3] Jacques-Jouvenot D., op.cit.

[4] Le canevas d’entretien auprès des étudiants porte sur le choix et la perception de leur formation et du métier d’éleveur, l’histoire de l’exploitation sur laquelle ils pensent s’installer, c’est-à-dire le plus souvent l’histoire du patrimoine économique et social familial, les changements souhaités sur leur future exploitation, la description de l’exploitation qu’ils souhaitent diriger, et le mal-être au travail.

[5] Cette seconde hypothèse a été éprouvée, d’une part, à partir d’entretiens compréhensifs avec des aidants (Solidarité paysan) à qui nous avons demandé de nous présenter quelques cas de trajectoires d’agriculteurs en demande d’aide auprès desquels ils sont intervenus.

[6] P. Spoljar, « Modernisation de l’agriculture et santé mentale : les contradictions au travail », Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé (en ligne), 17-1/2015, mis en ligne le 01 avril 2015 URL : http//pistes. revues. org/4430

 

Source: calenda.org