RHN 112/2023 | Call
Organisers: Nicolas Maughan, Eric Faure, Olivier Bellier
21-22 November 2023, Technopôle de l'Arbois-Méditerranée, BP80, 13545 Aix-en-Provence – Centre Européen De Recherche et D’enseignement des Géosciences de l’Environnement (CEREGE), France
Deadline for proposal submissions: 25 October 2023
Call for Papers:
Écrire l’histoire des interactions climat-société des Alpes à la Méditerranée de l’Antiquité à nos jours. Quelles perspectives pour le XXIe siècle ?
Workshop en hommage à Georges Pichard
En presque cinquante ans d’activités de recherche, Georges Pichard (1939-2022), historien moderniste et archiviste hors pair, a laissé une contribution majeure, originale et incomparable pour la connaissance de l’histoire de l’environnement de la Basse-Provence, de la vallée du Rhône et du sud des Alpes. Cette œuvre unique, dont la forme s’inscrit dans le courant historique de l’École des Annales, surtout permis de mettre en lumière la formidable richesse des sources documentaires originales et des premiers enregistrements instrumentaux utilisables pour écrire une histoire méridionale du climat jusqu’alors inédite. Cette histoire du climat, aujourd’hui champ de recherche interdisciplinaire, englobe sa reconstruction à partir des sources écrites et des archives naturelles et l’utilisation des reconstructions pour l’étude de l’histoire des sociétés. C’est ce second aspect, l’écriture de l’histoire des interactions climat-société, qui sera au cœur des deux journées de ce workshop qui se déroulera les 21 et 22 novembre 2023.
Le Sud-est de la France, plus particulièrement la Provence et la basse vallée du Rhône, est depuis des siècles un territoire d’érudition à la forte tradition scientifique ; principalement autour des mathématiques, de l’astronomie (Homet, 1982), de la météorologie mais aussi de la géologie et de la paléontologie (Besson, 2023) et de l’ingénierie. Nombreux sont les savants, médecins et érudits français à être originaires de villes méridionales comme Avignon, Arles, Aix-en-Provence et bien entendu Marseille (Aillaud et al., 2002) et à avoir fait de cette région, tant son littoral que son hinterland, un espace d’observation et d’expérimentation scientifique. Mais, la postérité n’a bien souvent retenue que les plus célèbres parmi lesquels il est possible de citer Bertrand Boysset (Gautier Dalché et al., 2018) pour l’arpentage, Pierre Gassendi et Nicolas-Claude Fabri de Peiresc (Miller, 2000) pour l’astronomie, Michel Darluc (Collomp, 2011), Michel Adanson et Gaston de Saporta pour les sciences naturelles, ou bien encore François Raymond pour la médecine (Pichard, 2005). De la même manière, en ce qui concerne les sciences historiques, certaines figures charismatiques contemporaines du monde académique provençale, ce fut le cas de Georges Duby pour le Moyen Âge dans le second XXe s. et plus récemment de Noël Coulet (1932-2023), ont pu « invisibiliser » d’autres individualités plus discrètes et isolées mais non moins brillantes. Ce fut en particulier le cas de Georges Pichard (1939-2022), historien moderniste et archiviste hors pair, qui, en presque cinquante ans d’activités de recherche, a laissé une contribution majeure, originale et incomparable pour la connaissance de l’histoire de l’environnement et du climat lato sensu de la Basse-Provence, de la vallée du Rhône et du sud des Alpes.
Cette œuvre unique, dont la forme s’inscrit dans le courant historique de l’École des Annales, saluée à plusieurs reprises par Emmanuel Le Roy Ladurie et caractérisée par une approche interdisciplinaire, riche plus de cinquante articles, d’ouvrages et chapitres d’ouvrages (Pichard et al., 2014), d’une base de données unique en Europe sur l’histoire hydro-climatique du fleuve Rhône (HISTRHONE), de communications lors de nombreux congrès et de participations à plusieurs programmes de recherche internationaux, a surtout permis de mettre en lumière la formidable richesse des sources documentaires originales et des premiers enregistrements instrumentaux utilisables pour écrire une histoire méridionale du climat jusqu’alors inédite. L’historiographie régionale était longtemps restée muette sur ce sujet et, jamais auparavant, les sources écrites n’avaient été ni explorées ni convoquées. Peut-être cela était-il lié à un « chauvinisme de latitude », une perception biaisée d’un Midi intellectuellement « sous-développé quant aux observations météorologiques » loin du sérieux parisien et de la rigueur des observateurs de la capitale. Dans une étude parue en 1972, à laquelle E. Le Roy Ladurie avait participé (Desaive et al., 1972), les séries de « la France du sud » de premières mesures instrumentales de la seconde moitié du XVIIIe s., depuis les Alpes jusqu’aux Pyrénées en passant par la Provence et le Languedoc, avaient été qualifiées de détestables, provenant d’observateurs « fantaisistes et qui n’en faisaient qu’à leur tête »… Allégations infondées que les travaux de G. Pichard sur cette « histoire décentralisée » des sciences permirent de démentir tout en soulignant la continuité séculaire et le sérieux d’une recherche provinciale autour d’une science en formation. En outre, toute provinciale qu’elle ait pu être, cette communauté météophile fut toujours connectée aux différents réseaux savants européens (Pichard & Maughan, 2017). En témoigne la présence de l’Observatoire de Marseille et des données météorologiques de ses observateurs au sein du réseau européen de la Société Palatine de météorologie de Mannheim créée en 1780 (Pichard, 1988 ; Pappert et al., 2021).
Mais, cette histoire du climat, aujourd’hui champ de recherche interdisciplinaire (White et al., 2023), englobe sa reconstruction à partir des sources écrites et des archives naturelles et l’utilisation des reconstructions pour l’étude de l’histoire des sociétés. C’est sur ce second aspect, l’écriture de l’histoire des interactions climat-société, que la majorité des travaux de G. Pichard a porté et qui sera au cœur des deux journées de ce workshop. Au travers d’un certain nombre d’études concernant tour à tour l’exploitation des forêts, l’agriculture, l’érosion des sols, l’usage des ressources naturelles, les catastrophes naturelles et leur gestion par les sociétés mais également l’usage des biens communaux, il a exploré diverses questions relatives aux relations complexes homme-milieu en région méditerranéenne durant la période moderne (notons que certaines questions liées à la démographie (Baratier, 1961), à l’alimentation (Stouff, 1970) ainsi qu’à la production agricole et à l’économie rurale (Baehrel, 1961) avaient déjà été abordées dans les années 1960-70). Par exemple, en ce qui concerne la forêt, son analyse des premiers inventaires statistiques a permis, d’une part, de poursuivre les travaux pionniers de Thérèse Sclafert sur l’histoire de l’exploitation des espaces boisés dans le Haut-Dauphiné et la Haute-Provence et, d’autre part, de souligner l’influence de contraintes hydro-climatiques hétérogènes sur la consommation de bois (Pichard, 1999, 1983, 1989). En effet, l'écriture conserve une image relativement précise des rapports entre l'homme et la forêt en Provence dès la fin du Moyen Âge et à l'instar de l'élevage il s'agissait d'une question capitale (Boyer, 1990). Th. Sclafert avait déjà eu le mérite de découvrir la valeur de cette documentation et d'en livrer en partie la teneur dans plusieurs articles et surtout un ouvrage fondateur (Sclafert, 1959). Ces recherches menées sur les massifs forestiers tiennent aujourd’hui une place à part entière dans l’histoire rurale méridionale, et ont récemment contribué à alimenter une série de réflexions originales autour de thèmes tels que le paysage de l’incultum provençal (Burri, 2014), l’usage de l’essartage et la dynamique des cultures temporaires (Burri, 2016) ou bien le commerce et la vie rurale des communautés de moyenne et haute montagne (Fabre, 2016, 2020) qui ont redynamisé cette discipline.
Concernant les phénomènes d'érosion, à l'échelle des paysages, il a tenté de les dater et de mettre en valeur des phases d'accentuation de l'érosion des sols et des pentes sur une amplitude temporelle certes beaucoup plus modeste que l’aurait fait le géographe, limitée aux périodes accessibles par les sources écrites ou figurées et de donner un sens à des causes dites anthropiques. Ceci, en utilisant la Provence rurale et ses abords montagnards durant le Petit Âge Glaciaire1 (XVIIe-XVIIIe s.), malgré le flou de cette dénomination au moment de son utilisation, pour analyser la dialectique homme-climat-érosion et comprendre les dynamiques érosives au cœur de nombreuses crises dans les zones rurales (Pichard, 2006 b, 2006 a). Il a ainsi montré qu’en Haute-Provence une triple évolution conduit à la dégradation des sols et à l'érosion à l'époque du PAG. Avec une transformation de la vie rurale caractérisée par la forte diminution de la tradition d'élevage du Bas Moyen Âge et une augmentation de la population qui contraint à cette diminution avec l'augmentation des terres en culture et des défrichements sur des pentes fragiles. Dans les montagnes méditerranéennes, pour des populations rurales aux prises avec « une tyrannie de la pente » permanente liée à une topographie tourmentée, la croissance démographique signifiait généralement un défrichement des terres, un changement de végétation et une érosion souvent accélérée, et inversement, une diminution de la population entrainait une déprise et un abandon des espaces cultivés (McNeil, 1992). Et, même si la mise en évidence des relations exactes entre démographie, climat et évolution des paysages et de la qualité des sols n’est jamais aisée (Butzer, 2005 ; Provansal & Leveau, 2006), les observations provençales ne témoignent pas en faveur d’une érosion des terrains dégradés de l’Europe Méditerranéennes, et de l’Afrique du Nord, depuis l’Antiquité, uniquement due à des facteurs naturels (cf. théorie de Vita-Finzi, 1969 ; Hughes, 1996; Redman, 1999) ; dégradation d’ailleurs perçue par certains auteurs comme surestimée, généralisée et créditée de trop de conséquences écologiques pour les populations (Grove & Rackham, 2003 ; Leveau, 2016). Puis, autour de 1640, les questions financières contraignent à vendre ou à tirer un parti financier immédiat des espaces communaux, forêts ou pâturages. Ce tournant fut général en Provence et aboutit à un profond changement dans l'usage des espaces communaux. La montée du péril torrentiel accompagnant finalement cette évolution dans la seconde moitié du XVIIIe s. (Pichard, 2004). La caractérisation des conditions climatiques de la torrentialité au PAG en Provence (Sivan et al., 2009), là aussi en s’appuyant sur les archives et les chroniques de crues des torrents sud-alpins et sur les mesures instrumentales des précipitations à Marseille, a effectivement révélé plusieurs périodes marquées par des crues fréquentes dans l’hydrosystème de la rivière Durance qui succèdent à des périodes d’accalmie relative. Observations confortées en 2012 par l’analyse de séquences de sédiments lacustres du lac alpin d’Allos (Wilhelm et al., 2012). Ces travaux ont permis de montrer que les cours d’eau du sud des Alpes, selon leur rang, ne connaissent pas les mêmes régimes de crue, témoignant ainsi de forçages météorologiques différents, que la fréquence élevée des crues durant le PAG n’était pas liée à une augmentation globale des totaux pluviométriques mais à une variabilité accrue interannuelle des précipitations.
De manière similaire, avec l’aide de la base de données historiques HISTRHONE, complétée par des données instrumentales, un panorama inédit de l’histoire hydro-climatologique la région du bas Rhône a pu être dressé ainsi qu’une reconstruction précise de l’histoire des inondations du XIVe au XXIe s. (Pichard et al., 2017). L’analyse de 1483 évènements a révélé une succession de périodes plus ou moins riches en crues d’intensité variable durant le PAG. Si les crues extrêmes ont triplé dans la seconde moitié de la période historique considérée (1650-2000), une hétérogénéité de situations entre les siècles, ce fut le cas du XVIIe s. caractérisé par des périodes hydrologiques très calmes entrecoupées par deux hyper-phases de crues, a été mise en évidence. Ces données ont permis une première exploration de l’impact du climat sur les épidémies en Provence au XVIIIe et XIXe s., en particulier en lien avec la dynamique des fièvres paludéennes et la prévalence de Plasmodium vivax à proximité des zones humides régionales (Roucaute et al., 2014).
L’œuvre variée de Georges Pichard apparaît donc comme une contribution essentielle servant à éclairer divers aspects de l’histoire hydro-climatique et environnementale du Sud-est de la France, complétée par d’autres initiatives spécifiques comme en 2014 autour du thème du PAG en Méditerranée (Carozza et al., 2014). Elle peut tout à fait être perçue comme pionnière d’une dynamique de recherche interdisciplinaire globale, débutée il y a une quinzaine d’années, principalement axée sur l’analyse du rôle des variations climatiques et environnementales dans le fonctionnement des sociétés préindustrielles depuis 2500 ans (productivité agricole, aspects sanitaires, migrations, conflits, etc.) (Büntgen et al., 2011) ; l'écriture d'une histoire du climat s'affirmant comme un nouveau champ de la recherche historique (Leveau 2014 b ; White et al., 2018 ; Pfister & Wanner, 2021). Cependant, si la discrimination entre l’influence des facteurs environnementaux ou « anthropiques » sur les sociétés passées, est longtemps restée difficile à cause du manque de données paléoclimatiques précises, de leur résolution et du manque de représentativité spatiale, la situation a rapidement changé ces dernières années, permettant d’approfondir de nombreuses questions concernant ces interactions climat-société mais aussi relative à l’usage et à la complémentarité des archives naturelles et documentaires.
Cette évolution rapide s’est principalement faite grâce à l’apport de nouvelles données proxies et d’outils d’analyses innovants, à une meilleure compréhension des circulations atmosphériques, de la variabilité interne et des phénomènes de forçage externe (rôle central du volcanisme dans la variabilité interannuelle et décennale des températures de l’hémisphère nord durant les 2500 dernière années, Sigl et al., 2015 : Stoffel et al., 2015), à l’usage de nouvelles méthodes de reconstruction statistique, de techniques bayésiennes (White et al., 2023), à la création de multiples « indices climatiques » (Nash et al., 2021), grâce également aux collaborations interdisciplinaires et à la structuration progressive de la communauté des historiens du climat (e.g. Climate History Network ; PAGES CRIAS Working Group).
Si l’on considère tout d’abord la question des archives documentaires, des premières données instrumentales et de leur intégration dans les reconstructions climatiques à différentes échelles, beaucoup de documents restent à ce jour inexploités dans le Sud-est de la France. Dans le cas du nord de l’Italie, un usage exhaustif des archives textuelles a permis, avec d’autres proxies, une reconstruction précise de l’évolution du niveau marin dans la lagune de Venise à partir du XVIe s. (Camuffo, 2021). A l’inverse, en Provence, les écrits du for privé comme les livres de raison, dont certains ont certes déjà été exploités pour la connaissance de l’activité hydrologique du Rhône, représentent encore une importante source documentaire régionale potentielle (Pichard, 2010).
En outre, si l’identification, la digitalisation, l’étude et l’intégration dans les reconstructions des premières données instrumentales sont très avancées en Italie (e.g. pour la région de Florence, Camuffo et al., 2020), en Suisse, en Catalogne ou en République Tchèque, très peu des données existantes pour le Sud-est de la France ont déjà été valorisées, souvent uniquement les mesures mensuelles de température ou de pression atmosphérique (Guiot et al., 2005 ; Brugnara et al., 2015), et beaucoup de registres d’observations restent encore à exploiter, principalement pour le XVIIIe s. Ces séries de mesures peuvent avoir des applications larges, permettant, par exemple, l’analyse détaillée des variations climatiques journalières et décennales ou d’évènements extrêmes, et contribuer ainsi à une meilleure connaissance des mécanismes impliqués et des réponses sociétales. Même les séries courtes peuvent être intégrées dans les réanalyses et améliorer la qualité des reconstructions (Pappert et al., 2021). Ces reconstructions pour la période historique sont essentielles pour analyser et comprendre le réchauffement actuel dans un contexte de variabilité climatique. On citer les remarquables travaux réalisés par le PAGES 2k Working Group qui a proposé une base de données de températures reconstruites à partir de nombreuses séries d’enregistrements de divers proxies thermosensibles, à un niveau régional et global, pour les 2000 dernières années ainsi que des reconstructions globales des températures moyennes sur cette période (PAGES 2K consortium, 2017, 2019).
Ces reconstructions ont été possibles grâce à des informations provenant d’archives naturelles toujours plus variées. Et, même si dans les Alpes du sud les données issues des arbres ont été majoritairement utilisées ces dernières années pour des études dendro-géomorphologiques (Corona et al., 2012 a, 2012 b ; Lopez Saez et al., 2012) et d’histoire du bâti (ADAHP, 2020), l’usage de la dendrochronologie (Büntgen et al., 2006 ; Sangüesa-Barreda et al., 2020) et des carottes de glaces reste prépondérant (Loveluck et al., 2018, 2020 ; Bohleber, 2019), aujourd’hui associés à d’autres proxies comme les enregistrements isotopiques (δ18O, δ13C) des spéléothèmes ou ceux des concrétions carbonatées des aqueducs antiques (aqueduc de Nîmes, Benjelloun et al., 2019).
Ce foisonnement de données a soulevé des questions concernant, le stockage, l’accessibilité et surtout la pérennité de ce « big data » paléoclimatique. En effet, beaucoup d’information provenant des archives naturelles et documentaires sont aujourd’hui disponibles dans diverses bases de données. Elles peuvent se présenter sous forme brute comme avec la récente base PAGES SISAL (Speleothem Isotope Synthesis and Analysis, Comas-Bru et al., 2020) ou sous la forme d’outils utilisables directement, comme l’Old World Drougth Atlas (OWDA, scDPSI, Cook et al., 2015). De nombreuses initiatives internationales ont permis, ces deux dernières décennies, le recensement et la synthèse des données documentaires qualitatives disponibles (Burgdorf, 2022 ; Burgdorf et al., 2023, DOCU-clim) ou des premiers enregistrements instrumentaux et surtout leur mise à disposition des chercheurs dans des bases en open access (HISTALP ; HISTRHONE ; EURO-CLIMHIST ; TAMBORRA). Certaines d’entre elles offrant des jeux de données plus spécifiques que d’autres, comme dans le cas des séries de dates des vendanges (Daux et al., 2012 ; Labbé et al., 2019) ou bien centrés sur les processions pour la pluie (Dominguez-Castro et al., 2021). En 2020, Blöschl et al., ont créé une base infra-annuelles sur les crues historiques couvrant les 500 dernières années en Europe leur permettant ainsi d’analyser l’évolution des dernières décennies de manière diachronique, en effet, le changement climatique actuel modifie la fréquence et la magnitude des crues de manière inédite.
Cet afflux inédit d’information a facilité l’identification de périodes climatiques spécifiques comme le « Late Antique Little Ice Age » (LALIA2, période froide de 536 AD - 660 AD, avec un extrême de 536 - 540 AD, Büntgen et al., 2022), d’avoir une vision beaucoup plus précise de la variabilité hydro-climatique temporelle et spatiale à un niveau régional d’autres périodes comme l’Optimum Climatique Médiéval3 (Lüning et al., 2019), et de sa transition complexe vers le PAG en Europe et dans l’hémisphère nord (Wanner et al., 2022), ainsi que des origines et des fluctuations internes de ce dernier (Luterbacher et al., 2016). Mais, ces données ont surtout offert de nouvelles perspectives permettant des comparaisons avec les études historiques et archéologiques pour mieux comprendre l’impact du climat sur les sociétés. Toutefois, des questions sont apparues à propos de l’influence réelle de ces fluctuations climatiques qui, si elles ont eu des conséquences, n’ont jamais été les mêmes pour les sociétés que ce soit dans le temps ou dans l’espace, spécialement en Méditerranée. Si l’on considère l’Antiquité, la multiplication des données paléoclimatiques et environnementales disponibles couplées aux documents historiques a récemment donné un nouvel éclairage sur l’histoire environnementale de la période romaine et de celles qui lui ont succédé (McCormick et al., 2012). Si des liens significatifs ont été mis évidence entre, d’une part, « période chaude » et expansion romaine (OCR4, Bernard et al., 2023) et, d’autre part, « refroidissement » lié à des éruptions volcaniques majeures et changements socio-économiques, démographiques et politiques à la fin de l’Empire (LALIA, Büntgen et al., 2016 ; Harper, 2017 ; Devroey, 2019), ceux-ci apparaissent très variables au sein de périodes climatiques non homogènes avec des conséquences différentes en fonction des sociétés et doivent interroger sur la notion de vulnérabilité et d’adaptation au changement climatique (Peregrine, 2020).
Ces nouvelles données ont donc modifié la perception que les historiens et archéologues avaient de l’époque romaine et de la fin de l’Antiquité tout en offrant de nouvelles perspectives d’analyse et en donnant l’opportunité de repenser les questions relatives à la nature de cette vulnérabilité et sa perception par les sociétés. Par exemple, dans le cas de la vallée du Rhône et de la dynamique fluviale et territoriale du fleuve durant la période antique et le Haut Moyen Âge, il est possible de renouveler les approches et de dépasser une vision uniquement basée sur des informations acquises pour décrire les étapes de la morphogenèse holocène, ayant amenée certains auteurs à dire que les six siècles de la période romaine furent d’abord caractérisés par une gestion forte de l’espace «sans aucune préoccupation des contextes environnementaux ». La réalité est plus complexe, l’augmentation et la diminution de la vulnérabilité varient en fonction de l’attrait d’une implantation au bord d’un fleuve, documentent un changement social, et, relus à la lumière des enseignements de la crise environnementale du début de l’ère à Rome, liée aux crues du Tibre, on constate que cet attrait du fleuve reste fort malgré la crise hydrologique (Leveau, 1999 ; Leveau, 2014 a). Cela peut-être aussi l’occasion de reconsidérer la vision de la catastrophe naturelle - ici climatique -, proposée en 2000 par Horden & Purcell dans l’un des plus brillants ouvrage post-braudélien sur le monde Méditerranéen. Un espace, fort éloigné dans sa description d’une vision géographique dichotomique braudélienne (Braudel, 1972-73), au sein duquel une multitude de regions, décrites en terme de « microecologies » et caractérisées par leurs interconnexions, où tous les évènements - naturels et anthropiques - se produisent de manière contingente avec une décourageante régularité, « the normality of floods », ayant des effets locaux similaires et temporaires, mais jamais ressentis partout au même moment, amenant à penser une histoire de l’environnement sans catastrophe.
Ce manque d’homogénéité climatique caractérise aussi le PAG qui n’est plus aujourd’hui considéré comme une période cohérente (Neukom et al., 2019). Si une partie importante de la variabilité climatique préindustrielle à une échelle pluri-décennale est attribuée au forçage volcanique (avec de nombreuses conséquences sur les sociétés, Manning et al., 2017 ; White et al., 2022 ; Maughan & Myllyntaus, 2024), une éruption n’est pas toujours responsable d’une crise et il existe une diversité de situation. La variabilité climatique interne (avec des anomalies) est aussi un phénomène important, c’est elle qui est à l’origine de la terrible décennie froide de 1430 durant le minimum solaire de Spörer, la plus froide du XVe s. dans le Nord-ouest et le centre de l’Europe, ayant entrainé des crises de subsistance, une famine mais aussi une réponse adaptative des sociétés (Camenisch et al., 2016). De même, il n’a pas été possible de lier le cluster d’éruptions des décennies 1630-40 aux conditions climatiques du minimum de Maunder ni à l’instabilité politique et aux famines des régions d’Europe de l’Ouest et du Nord au milieu du XVIIe s. (Stoffel et al., 2022). A l’inverse, pendant la première moitié du XIXe s., plusieurs importantes explosions volcaniques tropicales ont eu lieu en moins de trois décennies (incluant celle du Tambora), éruptions qui ont été suivies par d’importantes chutes des températures dans l’hémisphère nord et d’une augmentation des précipitations en Europe (Brönnimann et al., 2019). Ces trois cas, montrent parfaitement les difficultés à distinguer sans équivoque un refroidissement, une période humide ou sèche, induits par une éruption, de l’influence de la variabilité naturelle du climat et d’attribuer uniquement et directement un problème politique, une mauvaise récolte ou une famine, etc… à des conséquences climatiques volcaniques.
L’étude des liens entre variations climatiques et histoire humaine nécessite donc une approche précise et nuancée, prenant en compte les aspects globaux de l’évolution du climat et son « expression » au niveau régional voire local, ainsi que les évolutions historiques régionales en matière d’agriculture, d’économie, de politique, de démographie et de culture (Labuhn et al., 2019). Les impacts devant plutôt être analysés en termes de forme de résilience contingente et évolutive et de gestion du risque par les communautés urbaines et rurales. Des questions persistent également autour de problèmes méthodologiques et pratiques empêchant encore les « environnementalistes », historiens et archéologues de collaborer efficacement sur l’étude des conséquences des changements climatiques passés. Ceci peut impliquer pour les chercheurs de travailler sur la narration spécifique à ces trois disciplines dans le but de comprendre comment chacun traite de l’impact sociétal du changement climatique, de renforcer l’interdisciplinarité et de créer une culture commune de publication (Izdebski et al., 2016), permettant ainsi de dépasser des cadres d’analyse réducteurs toujours persistants et aussi, parfois, des oppositions pour lesquelles le climat (et plus largement l’environnement) n’est toujours pas considéré comme un acteur majeur des évènements historiques.
Les contributions qui viendront illustrer ces questions lors de ces deux journées pourront aborder des aspects purement physiques, hydro-climatiques et géomorphologiques mais aussi socio-économiques, agricoles, démographiques et sanitaires voire méthodologiques en lien avec les archives documentaires et naturelles et porteront, entre autres, sur les quatre grands thèmes suivants :
- La reconstruction des fluctuations hydro-climatiques passées sur la longue durée et celle d’évènements spécifiques extrêmes
- Les reconstructions climatiques régionales et à l’échelle du bassin Méditerranéen (températures, précipitations, pressions, etc.)
- La mise en évidence et les caractéristiques d’anomalies climatiques spécifiques
- Les variations dans les phénomènes impliqués dans les circulations atmosphériques et océaniques (e.g. courant-jet polaire de l'hémisphère nord, oscillation nord-atlantique, circulation méridienne atlantique AMOC, etc.)
- La reconstruction et l’analyse de phénomènes extrêmes liés à la variabilité climatique interne (e.g. hiver 1708/1709)
- L’identification et la description de nouvelles périodes climatiques (e.g. LALIA)
- La reconstruction d’épisodes spécifiques de sécheresse ou de crue
- Le rôle des phénomènes de forçage externe (éruptions volcaniques)
- L’analyse des fluctuations historiques des glaciers alpins
- Les aspects méthodologiques, les archives documentaires et naturelles, les mesures instrumentales et les nouveaux « proxies »
- Le rôle et l’usage des archives textuelles et des premiers enregistrements instrumentaux
- La complémentarité des informations issues des divers types d’archives et les obstacles à leur intégration
- Les données des nouveaux « proxies » (spéléothèmes, concrétions des aqueducs, etc.)
- Les informations fournies par les nouvelles méthodes d’analyse des archives (e.g. en dendroclimatologie, dendrochronologie vs étude anatomique du bois)
- Les nouvelles méthodes de reconstruction paléoclimatique (usage des méthodes bayésiennes, de systèmes d’intelligence artificielle)
- La création, l’usage des bases de données publiques et des « atlas » et les questions relatives à leur pérennité sur le temps long
- La création et l’usage des indices climatiques
- L’impact socio-environnementale de périodes climatiques spécifiques (OCR, LALIA, OCM & PAG) ou d’évènements extrêmes
- Les conséquences sur les épidémies et la pathocénose
- Les révoltes, révolutions, les crises politiques et économiques
- Les crises de subsistance (disettes, famines)
- Les conséquences sur les migrations inter et intra-régionales
- L’impact sur la gestion des ressources naturelles et les pratiques agricoles, l’arboriculture (oléiculture), la viticulture et la sylviculture
- Les conséquences des sécheresses et des crues sur la gestion des ressources hydriques et des hydrosystèmes
- L’impact sur la structure des paysages, l’érosion des sols et la dynamique des (agro) écosystèmes
- L’impact sur les modes d’administration des terres et des biens (communaux)
- L’adaptation et les diverses formes de résilience des sociétés urbaines et rurales
- Les représentations dans les arts et la littérature
- L’histoire des sciences, les observateurs, les réseaux scientifiques, les techniques de mesures
- Les savants et érudits « météophiles »
- Les diverses théories relatives au temps, leur émergence, leur circulation et leur évolution
- La genèse et la dynamique des réseaux d’observateurs en France et en Europe
- Le développement du matériel d’observation et les techniques de mesures
- L’origine des premières observations
- La collecte, la circulation des données et leur préservation
- L’influence du climat dans l’évolution des pratiques agricoles, la pensée agronomique et l’ingénierie
Notes
1 Petit Âge Glaciaire (PAG)
2 Petit Âge Glaciaire de la fin de l’Antiquité (Late Antique Little Ice Age, LALIA)
3 Optimum Climatique Médiéval (OCM)
4 Optimum Climatique Romain (OCR)
Présentation des communication
Les communications jouant sur des échelles différentes pourront être théoriques et générales ou prendre la forme d’études de cas. Si les travaux concernant le Sud-est de la France (vallée du Rhône, Provence, sud des Alpes, Côte d’Azur) et le Languedoc seront bien évidemment considérées, les propositions faisant référence à des secteurs des Alpes du Nord, à la Suisse, à l’Italie à l’Allemagne voire à l’Espagne seront particulièrement bienvenues. Les périodes antique, médiévale et moderne seront privilégiées mais les approches contemporaines pourront aussi être considérées.
Par ailleurs, un numéro thématique français/anglais de la revue à comité de lecture Méditerranée fera suite au workshop et permettra aux communicants, s’ils le souhaitent, la publication du texte de leur communication.
Un article de synthèse sur la thématique, incluant tous les communicants intéressés, sera publié dans une revue internationale indexée.
Dates : 21 et 22 Novembre 2023
Lieu : Centre Européen De Recherche et D’enseignement des Géosciences de l’Environnement (CEREGE, Aix-Marseille Université), Aix-en-Provence, France.
Partenaires : Aix-Marseille Université, Fédération de recherche ECCOREV, UMR-CEREGE, CNRS, UMR-I2M, PAGES CRIAS Working Group et Climate History Network.
Modalités de soumission
Les interventions, d’une durée de 20 minutes, seront faites en français ou en anglais. Merci d’envoyer vos propositions en français ou en anglais (500 mots maximum) accompagnées d’une note biographique à nicolas.maughan@gmail.com .
La date limite pour l’envoi des propositions est fixée au mercredi 25 octobre 2023.
Une réponse sera adressée aux auteurs le jeudi 26 octobre 2023.
Comité d’organisation
- Nicolas MAUGHAN (nicolas.maughan@gmail.com)
- Éric FAURE (eric.faure@univ-amu.fr)
- Olivier BELLIER (bellier@cerege.fr)
Comité Scientifique
- Olivier Bellier (UMR-CNRS CEREGE, Aix-Marseille Université)
- Valérie Bonet (MMSH, Centre Paul-Albert Février, Aix-Marseille Université)
- Sylvain Burri (UMR-CNRS TRACES, Toulouse)
- Simon Dolet (Centre de la Méditerranée Moderne et Contemporaine, Université Côte d'Azur)
- Éric Faure (UMR-CNRS I2M, Aix-Marseille Université)
- Sébastien Guillet (Institut des Sciences de l'Environnement, Université de Genève, Suisse)
- Joël Guiot (UMR-CNRS CEREGE, Aix-Marseille Université)
- Andrea Kiss (Vienna University of Technology, Vienne, Autriche)
- Philippe Leveau (MMSH, Centre Camille Jullian, Aix-Marseille Université)
- Nicolas Maughan (UMR-CNRS I2M, Aix-Marseille Université)
- Christophe Morhange (UMR-CNRS CEREGE, Aix-Marseille Université)
- Christian Pfister (Historisches Institut, Université de Berne, Suisse)
- Christian Rohr (Historisches Institut, Université de Berne, Suisse)
- Sam White (Faculty of Social Sciences, Université d’Helsinki, Finlande)
Contact details: Nicolas Maughan, nicolas.maughan@gmail.com
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