RHN 1/2024 | Call
Organisers: Le Groupe de recherche en histoire environnementale (Grhen), Centre de recherches historiques, EHESS – Arnaud Page
5 June 2024, EHESS, Paris, France
Deadline for submissions: 31 January 2024
***Please find the English version below***
Journée d’études Grhen/ CRH :
« Bas-modernismes » : le développement à petits pas ?
Dans un ouvrage désormais classique, Seeing Like a State (1998) l’anthropologue James C. Scott s’est attaché à étudier la question du « Haut-modernisme autoritaire », expression désignant différents types de modernisation imposés par le haut et visant à rationaliser scientifiquement l’aménagement et l’utilisation des espaces naturels, agricoles et urbains. Selon Scott, les grands projets modernisateurs conjuguent une foi presque aveugle en la science avec une volonté d’éradiquer les pratiques, traditions et savoirs locaux, perçus comme des obstacles à la mise en valeur des espaces. Mais si l’idéal-type défini par Scott est heuristiquement fructueux, il ne correspond bien souvent pas à la réalité des projets de modernisation, soit que ces derniers aient fait l’objet de redéfinitions et accommodements lors de leur mise en application (Cooper ; Ross), soit, plus simplement, parce que les projets modernisateurs n’étaient pas nécessairement fondés sur l’oblitération des pratiques et savoirs « traditionnels » (Moon). Revenant sur la période du New Deal, l’anthropologue Jess Gilbert a ainsi proposé la notion de « bas-modernisme » pour décrire les projets dont la visée était celle d’un développement agricole plus graduel, évolutif et s’appuyant sur les pratiques et dynamiques locales (Gilbert).
La mise en avant de projets modernisateurs alternatifs et fondés sur une meilleure prise en compte des caractéristiques, dynamiques et savoirs locaux n’est cependant pas sans courir le risque d’une forme d’idéalisation des projets de développement à plus petite échelle, qui s’opposeraient en tous points au « haut-modernisme » par leur approche plus équilibrée, démocratique et respectueuse des traditions et pratiques locales. Les projets plus graduels et communautaires, hier comme aujourd’hui, reposent en effet bien souvent sur la construction de traditions et communautés idéalisées, décrites comme vulnérables et nécessitant une forme d’accompagnement pour faire face aux changements extérieurs (Murray-Li). Des travaux récents ont également montré combien les projets plus coopératifs ou s’appuyant sur les dynamiques locales avaient pu être utilisés comme stratégies contre-insurrectionnelles, de stabilisation du pouvoir étatique ou colonial, d’enrôlement des populations, ou d’instruments visant à favoriser l’intégration politique et économique de certains espaces perçus comme hors de portée de l’État ou de l’économie de marché (Immerwahr ; Windel). Ces projets ont également pu jouer un rôle dans le renforcement de certaines inégalités (sociales ou de genre). Ils ont enfin souvent fait l’objet de négociations, revendications et contestations de différents ordres, et leurs objectifs initiaux ont pu être subvertis ou s’hybrider avec des formes de « haut-modernisme ». Il ne s’agira pas ainsi d’ opposer systématiquement les deux notions, mais de tenter de démêler les différents fils des projets modernisateurs.
Cette journée d’étude vise à rassembler des études de cas, sans limite géographique ou chronologique, de projets, souvent d’envergure plus modeste, de développement des espaces ruraux, fondés la nécessité d’une intégration de la science et de nouvelles technologies et des caractéristiques, pratiques et savoirs locaux. Il s’agira dans cette journée d’étude de discuter de la pertinence de la notion de « bas-modernisme », mais surtout d’échanger à partir d’exemples précis de projets d’aménagement, de modernisation et développement des espaces « naturels », agricoles ou aquatiques qui, soit délibérément, soit par pragmatisme, étaient fondés sur une approche plus graduelle et s’appuyant sur des outils, savoirs, pratiques et organisations préexistants, sans pour autant occulter les multiples enjeux de pouvoir qui se posent lors de leur conception et de leur mise en application.
La journée d’études aura lieu à l’EHESS (Paris) le 5 juin 2024.
Les langues de travail seront l’anglais et le français.
Les propositions de communication (une page maximum), en français ou en anglais, accompagnées d’un bref CV, sont à envoyer avant le 31 janvier 2024 à : page.arnaud@gmail.com.
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Grhen/ CRH Workshop
“Low Modernisms”: Developing step by step?
In his now classic Seeing Like a State (1998), anthropologist James C. Scott, using the concept of “authoritarian high modernism”, examined different types of modernization imposed from above, and aiming at scientifically rationalizing the planning and use of natural, agricultural and urban spaces. According to Scott, major modernizing projects combine an almost blind faith in science with a desire to eradicate local practices, traditions and knowledge, perceived as obstacles to development. But while Scott's ideal-type has been heuristically very fruitful, it often doesn't correspond to the reality of modernization projects, either because the latter were redefined during their implementation (Cooper; Ross), or, more simply, because modernizing projects were not necessarily based on the obliteration of “traditional” practices and knowledge (Moon). Looking back at the New Deal period, anthropologist Jess Gilbert has thus proposed the concept of “low-modernism” to describe projects based on a more gradual, evolutionary agricultural form of development based on local practices and dynamics (Gilbert).
The emphasis on alternative modernizing projects, taking into account local characteristics, dynamics and knowledge does, however, run the risk of idealizing small-scale community development projects as the opposite of “high-modernism”, and of describing them as intrinsically more balanced, democratic and respectful of local traditions and practices. Projects intending to modernize from the ground up, then as now, are often based on the construction of idealized traditions and communities described as vulnerable and in need of some form of accompaniment to help them cope with external changes (Murray-Li). Recent studies have also shown how cooperative projects or projects based on local dynamics have been used as counter-insurgency strategies, to stabilize state or colonial power, or as instruments to promote the political and economic integration of certain areas and populations perceived as beyond the reach of the state or of the market economy (Immerwahr; Windel). These projects may also have played a role in reinforcing certain gender or social inequalities. Finally, they have often been the object of negotiation, demands and contestations of various kinds, and their initial objectives may have been subverted or hybridized with forms of “high modernism”. The aim here is thus not to systematically oppose the two notions, but to disentangle the different threads of modernizing projects.
The aim of this workshop is to bring together case studies, without geographical or chronological limits, of projects intended to develop and modernize rural areas, but which emphasized the need to integrate science and new technologies with the local characteristics, practices and knowledge of the areas and populations to be modernized. The aim of this workshop will be to discuss the relevance of the notion of “low-modernism”, but mostly to discuss precise examples of planning, modernization and development projects in “natural”, agricultural or aquatic areas which, either deliberately or out of pragmatism, were based on a more gradual approach and drew on pre-existing tools, knowledge, practices and organizations, without obscuring the multiple power issues that arose during their design and implementation.
The workshop will be in both English and French.
It will take place at EHESS, Paris on June, 5th, 2024.
Please send your proposals (one page maximum), in French or English, along with a brief resume, before January, 31 2024 to page.arnaud@gmail.com.
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Select Bibliography
Frederick Cooper, “Writing the History of Development”, Journal of Modern European History, vol. 8, n° 1, pp. 5-23.
Georg Fischer, “Agrarian Colonization and Indigenous ‘Integration’: the Cotoca Project in Eastern Bolivia, 1955-62”, in Heinrich Hartmann & Julia Tischler (eds.), Planting Seeds of Knowledge: Agriculture and Education in Rural Societies in the Twentieth Century, New York, Berghahn, 2023, pp. 322-246.
Harald Fischer-Tiné, “The YMCA and Low-Modernist Rural Development in South Asia, c.1922–1957”, Past & Present, n° 240, 2018, pp. 193–234.
Jess Gilbert, “Low Modernism and the Agrarian New Deal: A Different Kind of State”, in Jane Adams, ed., Fighting for the Farm: Rural America Transformed, University of Pennsylvania Press, 2003.
Jess Gilbert, Planning Democracy: Agrarian Intellectuals and the Intended New Deal, New Haven, Yale University Press, 2015.
Daniel Immerwahr, Thinking Small: The United States and the Lure of Community Development, Cambridge, Ma., Harvard University Press, 2015.
Amanda McVety, “Pursuing Progress: Point Four in Ethiopia”, Diplomatic History, vol. 32, n° 3, 2008, pp. 371-403.
Tania Murray Li, The Will To Improve: Governmentality, Development, and the Practice of Politics, Durham, N.C., Duke University Press, 2007.
Suzanne Moon, Technology and Ethical Idealism, Leiden, CNWS Publications, 2007.
Corey Ross, Ecology and Power in the Age of Empire: Europe and the Transformation of the Tropical World, Oxford, Oxford University Press, 2017.
James C. Scott, Seeing Like a State: How Certain Schemes to Improve the Human Condition Have Failed, New Haven, Yale University Press, 1998.
Aaron Windel, Cooperative Rule: Community Development in Britain’s Late Empire, Oakland, University of California Press, 2022.